Rien qu’à son nom, le grand nord sibérien apparaît ! L’« Arktika », le brise-glace le plus puissant du monde est prêt. Les Russes ont mis 30 ans à concevoir ce navire à moteur nucléaire unique au monde. 74 mètres de long, une piste d’hélicoptère et des réservoirs gigantesques pour pouvoir livrer l’Asie du sud-est en gaz naturel. Déterminés à rester les maîtres du grand nord sibérien, les russes feront partir l’« Arktika » dans un mois au travers des glaces.
À l’unanimité, l’Arktika n’a que des admirateurs ! Impressionnant de constater que tous les experts de la mer ou du Pôle Nord contactés aux États-Unis ou en Europe, vouent un culte à ce monstre nouvelle génération. Jérôme Chapellaz, chercheur et directeur de l’Institut polaire français, souligne qu’avec ses moteurs nucléaires, l’Arktika peut tenir un an en mer sans avoir besoin de ravitaillement. Quant aux blocs de glaces, il est le seul navire à pouvoir les casser sur trois mètres d’épaisseur.
« Il faut trois éléments pour qu’un brise-glace fonctionne, explique-t-il, premièrement, une coque renforcée capable de bouger ! Oui, les matériaux sont suffisamment souples pour pouvoir encaisser les pressions des blocs de glaces qui bougent tout le temps. Le second élément est l’avant du bateau, son étrave, quand il sera pris dans la glace, l’Arktika va lancer ses moteurs à toute puissance pour pouvoir monter sur la glace. C’est son propre poids qui va briser la glace et lui permette d’avance en dents de scie, étape par étape. Enfin, le troisième élément, c’est évidemment l’énergie de ses moteurs. Les russes sont vraiment les meilleurs, ils ont développé des navires à moteur nucléaire là où les autres pays ont des brise-glace au diesel qui découpent trois fois moins d’épaisseur de glace. »
74 m de long, 1,6 milliard de technologie nucléaire
C’est le bruit, ce fracas énorme d’eau glacée rejetée sur les côtés du navire (qui refroidit les moteurs) qui aura marqué l’explorateur Jean-Louis Étienne. Le savoir-faire russe il connait avec une aventure on ne peut plus cocasse puisqu’en 2002 après 4 mois de dérive aux abords du Groenland, il a été repêché par l’ancêtre de l’Arktika, et déjà, la technologie l’avait impressionné.
« J’étais parti du Pôle Nord, raconte-t-il, et c’est en quelque sorte le grand-père de l’Arktika qui m’a récupéré en pleine mer gelée. Je me souviens que les russes étaient très chaleureux et très heureux de me faire visiter ce navire qui était déjà à propulsion nucléaire, mais moins puissant que l’Arktika de 2020. (…) Depuis 30 ans, ajoute cet aventurier aussi passionné qu’admiratif, que les russes construisent des bijoux de haute technologie. Toute la côte sibérienne leur appartient. Cette zone a été très militarisée durant la Guerre froide. Aujourd’hui, avec la fonte des glaces due au réchauffement climatique, c’est un nouvel eldorado qui s’ouvre à eux. Leurs réserves de gaz notamment en face de Mourmansk sont énormes, ils ont entamé une course face à d’autres, le Canada, les États-Unis, la Norvège en équipant tout ce passage qui ira en Asie avec leurs navires les plus puissants. »
Comme une canne avec ses petits canards, l’Arktika ouvrira la voie pour d’autres navires
L’Arktika servira d’éclaireur en quelque sorte en ouvrant la voie à d’autres navires chargés de gaz liquéfié ou d’autres hydrocarbures qui navigueront dans son sillage en étant moins puissants.
Américains en retard, Chinois et émirats nouveaux partenaires de l’eldorado russe
En décembre dernier, en voyant les images des premiers essais de sortie en mer de l’Arktika, le secrétaire d’État Américain s’est inquiété. Pas question pour Washington de laisser Moscou s’imposer sur cette route du gaz. Pourtant, comme l’explique Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime, leurs constructions navales ont pris du retard, leurs nouveaux brise-glace n’arriveront pas avant 2025.
« La fonte des glaces due aux évolutions du climat fait ressortir les richesses du sol sibérien, explique ce chercheur et fin connaisseur des questions polaires. Il n’y a pas que le gaz, les Russes disposent de minéraux, de pétrole et de ressources agricoles qui pourront être sortis et chargés sur des navires comme l’Arktika. Même si pour le moment, dit-il, ce navire va se contenter de voyages vers l’Asie. À long terme, on peut imaginer d’autres trajectoires des routes du nord vers le continent européen. La Russie a besoin de s’affirmer économiquement, la Chine lui achète du gaz, elle est concurrente et partenaire à la fois dans la construction et l’acheminement de bateaux. Au même titre qu’un autre pays, assez inattendu, les Émirats Arabes Unis. »
Pour les Russes, l’Arktika n’est qu’une première étape, 2 autres navires ultra-puissants devraient être mis à l’eau l’an prochain.
RFI