Confrontés à d’immenses défis, les pouvoirs publics africains mettent la « ville intelligente » au cœur de leur stratégie, pour concilier urbanisation, révolution numérique et durabilité.
Les villes génèrent environ 80 % du produit intérieur brut (PIB) planétaire selon la Banque mondiale. C’est dire leur importance pour les économies. Alors que deux individus sur trois seront citadins en 2050 – contre un sur deux actuellement – 60 % de la population africaine résidera en métropole, contre 39 % aujourd’hui, d’après l’ONU-Habitat. Dans ce contexte, la smart city, ou ville intelligente, émerge comme la réponse à l’urgence qu’impliquent les objectifs de développement durable (ODD).
Des infrastructures sous-dimentionnées
Cette croissance de plus de 20 % de la population urbaine africaine, couplée à une activité économique survoltée et la montée en puissance de la classe moyenne, donnera un coup d’accélérateur à la consommation. Le scénario le plus évident : une explosion du nombre de véhicules en circulation, dans un contexte paradoxal d’infrastructures routières inefficaces et sous-dimentionnées, avec pour conséquence une mobilité rendue plus difficile et une augmentation de la pollution automobile, même si l’Afrique reste faible émettrice de CO2. Les chantiers immobiliers devraient se multiplier grâce au boom de l’exode rural et à l’intérêt grandissant des Africains pour de meilleures conditions de logement. Résultat: une hausse exponentielle de la consommation d’énergie est à attendre. Ces signes annonciateurs font donc des smart cities une piste privilégiée pour permettre d’éviter la crise.
Dans le rapport Africa’s Cities : Opening Doors to the World , la Banque mondiale estime que la croissance des villes sera l’un des cœurs battants du développement du Continent. « En commençant par des réformes des marchés fonciers et des réglementations, puis en effectuant des investissements anticipés et coordonnés dans les infrastructures, les gouvernements peuvent prendre le contrôle de l’urbanisation et construire des villes africaines plus connectées et plus productives : des villes qui ouvrent leurs portes au monde », affirment les experts de l’institution.
Cette ouverture sur le monde serait un catalyseur pour les investissements directs étrangers (IDE), selon la Banque africaine de développement (BAD). « Les villes plus intelligentes révèlent qu’elles sont en mesure d’attirer davantage d’IDE », font remarquer les experts de la BAD dans le rapport « State of African Cities 2018 », ajoutant que l’affluence des investissements dans une smart city élargit la marge de manœuvre financière des municipalités au bénéfice de projets à la pointe de la technologie. Dans un tel environnement, les affaires prendraient une autre dimension.
Désireux de s’inscrire dans l’air du temps, les pouvoirs publics africains mettent l’économie numérique au cœur de leurs stratégies en mettant l’accent sur les villes intelligentes à l’instar de la célèbre KonzaTechnology City, baptisée «Silicon Savannah», de Nairobi, au Kenya. Cette prise de conscience s’est également concrétisée par le lancement en 2014 de l’Alliance Smart Africa sous l’égide du président rwandais Paul Kagamé.
McKinsey établit qu’il y aura en Afrique 100 villes de plus de 1 million d’habitants en 2025. Pour qu’elles soient intelligentes et que le business et les citoyens s’y épanouissent durablement, les pays devront relever plusieurs défis. À l’unanimité, les experts pointent d’abord l’électrification. L’Afrique reste l’une des régions les moins raccordées au monde, avec un taux d’électrification de 43 % en 2016. En d’autres termes, 57 % de la population vit sans un accès régulier à l’électricité. Or smart city rime inéluctablement avec accès maximisé à cette énergie.
« L’électrification est le défi majeur d’une ville connectée. L’expérience des économies du Nord démontre que plus un pays dispose de réseaux rapides d’Internet, plus le PIB augmente. Il y a donc une relation entre la connexion au Web et l’économie en général. C’est cela le talon d’Achille des économies africaines. Dans plusieurs pays, la connexion Internet est encore très coûteuse et de mauvaise qualité. Il faut donc que les États fassent des efforts pour améliorer l’approvisionnement en électricité », nous explique Jérôme Chenal, expert en smart cities et directeur du programme Excellence in Africa à l’École polytechnique de Lausanne. C’est d’ailleurs pour faire face à ces besoins que les smart grids sont de plus en plus recommandés.
La formation, un atout essentiel
La formation apparaît par ailleurs comme l’autre maillon central du développement des smart cities en Afrique. Plusieurs initiatives voient le jour tant au Maroc qu’en Côte d’Ivoire, au Rwanda, au Nigeria ou encore au Kenya. Mais alors que leur concrétisation implique souvent d’importants investissements, la main-d’œuvre locale n’est pas souvent en mesure d’en assurer la maintenance. « Les smart cities constituent un mouvement international qui a vocation à s’installer durablement. Plutôt que de faire venir les entreprises étrangères à chaque fois qu’il y a des pannes techniques, il faut former les Africains », nous explique Mohammed El Kettani, urbaniste et spécialiste des smart cities.
Au Bénin, Jérôme Chenal intervient sur le mégaprojet Sèmè City en tant que formateur. « Les smart cities requièrent des compétences un peu différentes de celles de l’urbanisme conventionnel, fait-il remarquer. Il faudra donc massivement former des ingénieurs dans le domaine de l’urbanisme digital et des systèmes urbains, pour qu’ils soient capables de gérer cette mine numérique et technologique ».
Les experts estiment en outre qu’une formation des ingénieurs africains, à grande échelle et en qualité, déboucherait sur la création de solutions africaines qui pourraient s’inspirer des économies développées, « sans faire du copier-coller », tient à souligner Mohammed El Kettani, et qui renforceraient la résilience, l’inclusivité et la durabilité des villes africaines.
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