Aux États-Unis, Donald Trump a annoncé le gel des migrations au nom de la défense de l’emploi américain. Des décrets doivent préciser le contour de cette annonce très politique. Avec la crise du coronavirus, les migrants sont-ils devenus indésirables ? Aux États-Unis comme dans de nombreux autres pays d’accueil ?
Avec la fermeture des frontières et des consulats, les flux migratoires sont de faits gelés dans le monde entier, d’abord pour des raisons sanitaires et administratives. Pour le moment aux États-Unis seule l’attribution des green cards, des cartes vertes de résident permanent, est suspendu pendant deux mois d’après le décret que doit signer aujourd’hui le président américain. Mais en établissant un lien entre migration et défense de l’emploi Donald Trump envoie un signal très fort estime Jean-Christophe Dumont, économiste en charge de la division des migrations internationales auprès de l’OCDE: cette annonce est dissuasive et les flux migratoires vers les États-Unis pourraient s’assécher durablement, voire tant que la crise économique persiste.
À l’exception de la Corée du Sud et du Japon qui ont suspendu tous les titres de séjour, la plupart des pays d’accueil ont rallongé la durée des permis pour permettre aux travailleurs étrangers de continuer à vivre sur place. En revanche beaucoup de ces travailleurs ont déjà perdus leur emploi, notamment dans les secteurs où ils sont très présents comme le bâtiment ou l’hôtellerie, totalement paralysés par le confinement.
Il y a des secteurs comme la santé où les travailleurs étrangers sont toujours bienvenus
Au Royaume-Uni où le Premier ministre Boris Johnson victime du Covid-19 s’est empressé de remercier Luis l’infirmier portugais et Jenny sa collègue de Nouvelle-Zélande qui ont veillé sur lui à l’hôpital, le gouvernement a prolongé d’un an tous les titres de séjour du personnel de santé. Et pour cause : 3 médecins sur 10, 18% des infirmières sont des travailleurs immigrés. La dépendance à l’égard de la main d’œuvre étrangère est très forte également dans l’agriculture, au Royaume-Uni comme dans la plupart des autres pays membres de l’OCDE. Même Donald Trump a reculé sous la pression des farmers : ils pourront encore avoir recours à cette main d’oeuvre temporaire. Si l’Espagne a suspendu les 14 000 titres de séjour réservés aux Marocains pour la récolte des fruits et légumes, l’Allemagne (qui avait d’abord suspendu les permis réservés à la main d’œuvre agricole) en délivrera finalement deux fois 40 000 en avril et en mai à des ressortissants roumains ou bulgares. En Italie pour faire face aux besoins urgents, la ministre de l’Agriculture exige la régularisation de 200 000 clandestins. À la lumière du coronavirus on redécouvre à quel point la migration est indispensable au tissu économique des pays d’accueil. La pandémie révèle qu’en matière de migration, la dépendance est réciproque entre pays d’accueil et pays d’origine.
Les pays d’origine souffrent déjà de la baisse des transferts d’argent
Ces transferts auraient chuté de 80% du Royaume-Uni vers l’Afrique de l’est selon nos confrères de l’hebdomadaire britannique The Economist. Ceux de l’Italie vers l’Afrique de 90%. Le confinement a contraint les établissements de transferts à la fermeture, d’où le tarissement parfois brutal de ces flux. Les paiements par mobile ont baissé de 15 à 20% seulement, encore faut-il avoir un compte en banque pour pouvoir l’utiliser. Le coronavirus va durablement assécher cette manne souvent essentielle à la survie des familles. Après la crise financière de 2008 les transferts avaient baissé de 5% selon les chiffres de l’OCDE, depuis ils sont en progression constante. Ils se montent à 715 milliards de dollars pour 2019 –source Banque mondiale. Ils vont fortement reculer cette année. Le niveau de 2019 reviendra au mieux dans trois ans selon la banque BBVA.
La crise économique va laisser des traces durables sur les flux migratoires ?
Surtout quand elle se double d’une crise pétrolière estime Jean-Christophe Dumont. Les ponts migratoires entre les pays du Moyen Orient et l’Asie ou entre la Russie et l’Asie centrale risquent d’être très impactés. C’est donc la double peine pour les pays d’origine, à la crise économique provoquée chez eux par le Covid-19 et le ralentissement mondial, s’ajoutera le manque à gagner des envois des migrants. À cause du chômage, les conditions d’entrée vont sans doute se durcir dans la plupart des pays d’accueil, de quoi nourrir une crise économique et les ferments d’une crise sociale, et accentuer encore plus la pression migratoire.
RFI