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Coronavirus: «On peut craindre beaucoup de morts en Afrique»

Le coronavirus, qui fait des ravages en Italie ou en France, s’installe sur le continent africain, provoquant l’inquiétude des médecins et d’une partie de la population. Car si certains pays ont appris de leur combat passé contre des épidémies dangereuses, le choléra ou même Ebola, beaucoup manquent de matériel pour traiter les cas les plus sévères de coronavirus. Jean-Hervé Bradol de Médecins sans frontières (MSF), dresse un diagnostic peu optimiste, mais nécessaire.

RFI : Médecins Sans Frontières a été en première ligne face aux dernières épidémies d’Ebola en Afrique. Quelles comparaisons faites-vous entre ces épidémies d’Ebola et l’actuelle épidémie du coronavirus ?

Jean-Hervé Bradol : Ebola tue beaucoup plus mais s’exprime dans un territoire géographique beaucoup plus limité. Concernant le coronavirus, tous les chiffres qui circulent sont des chiffres mal construits. C’est pour aller vite, tout le monde lance des chiffres. On verra une fois qu’on aura tout recalculé, quand on aura pris du recul, qu’on travaillera avec des définitions standardisées, on s’apercevra que la létalité du coronavirus n’est pas énorme. Mais par contre, le nombre de cas est énorme. Comme le nombre de morts est proportionnel au nombre de cas, à la fin il y aura beaucoup de morts à l’échelle du monde.

Qu’est-ce qui vous semble être, à l’heure actuelle, le risque le plus important pour l’Afrique ?

Dans la plupart des capitales africaines, il y a très peu de lits de réanimation. Cela veut dire que tous les cas vraiment graves ne seront pas traités. Ce qu’on peut craindre pour l’Afrique, c’est beaucoup de morts. Ce qui est faisable en Afrique en unité d’hospitalisation pour une partie des malades pas trop graves, c’est de leur donner de l’oxygène, à condition qu’ils respirent, eux, activement cet oxygène. Mais encore une fois, il y aura une petite partie des malades -mais qui est significative- pour laquelle ce ne sera pas suffisant. Il faudra les faire respirer de manière mécanique avec une machine.

Est-ce que le diagnostic est général, on manque de ces machines respiratoires sur le continent ?

Il y a des nuances, il y a des endroits où il y en a plus que d’autres. Dans un pays comme l’Afrique du Sud, il y en a un peu plus qu’ailleurs. L’Égypte, ce n’est pas le Burkina. Il y a une hétérogénéité sur le continent. Mais ça va être quand même difficile pour tout le monde…

Est-ce qu’il y a des solutions alternatives aux machines respiratoires telles qu’on les connait en Europe ?

Pas tellement pour ce type de malades. Pour le Syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), les lésions des poumons, des alvéoles pulmonaires, celles qui font respirer, sont telles que la ventilation de ces patients est vraiment quelque chose de très sensible. Ce n’est pas seulement une question de matériel. Il faut des équipes qui sachent le faire, qui ont l’habitude de le faire. Mais il n’y a pas que des malades ultra sévères, il y a des malades sévères, tout court. Pour ceux-là, je pense qu’on peut quand même monter des espaces d’hospitalisation, peut-être des grandes salles communes pour leur donner de l’oxygène, puis le traitement médical.

Est-ce que des dispositifs comme la quatorzaine, cette mise à l’écart de deux semaines, sont des dispositifs utiles ?

Oui, ce sont des dispositifs utiles, mais la difficulté, c’est que pour être vraiment efficaces, il y a besoin de tester… Un test biologique pour séparer ceux qui ont déjà eu la maladie de ceux qui ne l’ont pas encore eue… ou de ceux qui sont en train de la faire à ce moment-là. Il faut pouvoir répartir les personnes dans des espaces où les uns les autres ne s’infectent pas et où ils n’infectent pas les autres. Pour l’instant, les mesures en France et en Italie sont incomplètes. A la différence de la Corée du Sud où les gens testés positifs étaient hospitalisés, même si ce n’était pas grave, pour les séparer du reste de la population et les héberger ailleurs, même s’ils ne présentaient pas de forme sévère. Là, on les renvoie dans leur famille. Donc, on peut quand même imaginer qu’il y a une transmission intra familiale. Pas de tests biologiques rapides utilisables sur le terrain rend la politique de prévention moyennement efficace.

Est-ce que dans les pays qui ont connu l’épidémie d’Ebola, vous avez le sentiment qu’on parvient à s’appuyer sur ce qui a été appris au cours de cette épidémie d’Ebola ?

C’est indéniable. Les gens qui ont participé à la réponse Ebola ont des réflexes généraux sur la réponse aux épidémies. C’est une petite «culture professionnelle». Avoir travaillé sur les épidémies d’Ebola et sur d’autres épidémies en général -il y a par exemple eu une épidémie de choléra assez importante au Mozambique à laquelle le gouvernement a très bien réagi d’ailleurs-, fournit une partie de la gymnastique cérébrale qu’il faut pour mener ces activités.

En tant que médecin, quels conseils donneriez-vous à nos auditeurs africains ?

De prendre toutes les mesures de limitation des contacts. Tous les contacts qui ne sont absolument pas nécessaires, petit à petit vont devenir de plus en plus risqués. Ce n’est pas possible pour tous les membres de la famille, mais pour ceux pour qui c’est possible, il faut rester à la maison et se laver les mains. Que personne ne rentre ou ne sorte de la maison sans se laver les mains. Et pendant le temps de résidence à l’intérieur du domicile, c’est pareil, se laver les mains. Avec le savon, cela marche très bien. Avec le gel hydroalcoolique, c’est un peu plus confortable, ça évite de s’essuyer etc. Mais le savon marche aussi bien.

RFI

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