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La rapide ascension de Jérémie Pellet, DG d’Expertise France

A bientôt 42 ans, le nouveau DG d’Expertise France a déjà un parcours bien rempli. Issu de la prestigieuse promotion Senghor de l’ENA, il nourrit un lien particulier avec l’Afrique qu’il fréquente depuis l’enfance. Portrait d’un énarque qui s’applique avec méthode et discrétion à endosser des responsabilités qui le portent invariablement vers le continent.

C’est au 7e étage d’un siège pratiquement déserté, que Jérémie Pellet nous reçoit dans son bureau (entretien réalisé le 13 mars 2020). «Dès lundi, les équipes devront effectuer leurs missions en télétravail. Il faut s’adapter, car le Coronavirus a bouleversé les agendas» explique le quadragénaire habitué aux voyages au long cours. « Nous sommes en cellule de crise, car nous avons des équipes réparties partout dans le monde or, aujourd’hui on ne peut pratiquement plus envoyer d’expert nulle part», constate-t-il.

A l’intérieur des 20 m2 qui donnent sur une petite cour intérieure, les drapeaux français et européen se dressent devant le portrait du président Macron. Pour seules décorations, deux statuettes africaines, quelques livres d’économie et de géopolitique, ainsi qu’une photo de la dernière soirée d’équipe, se distinguent sur la petite étagère du bureau de Jérémie Pellet. Tiré à quatre épingles, le nouveau directeur général d’Expertise France, affable et souriant, revient sur son parcours professionnel déjà bien rempli.

Né en juin 1978 de parents médecins et originaire de Grenoble, il connaît l’Afrique depuis toujours. «Ma mère a grandi au Maroc, car mon grand-père y travaillait dans une raffinerie. J’y allais régulièrement pendant mon enfance». Etudiant, il traverse le désert du Niger jusqu’à la Libye. L’expérience lui plaît, au point où il se propose peu après, d’y retourner. «En 2002, je suis devenu le premier stagiaire de l’ENA en Libye. J’ai passé six mois à l’ambassade de France à Tripoli, au moment de la reprise des relations diplomatiques du pays», précise-t-il.

Jérémie Pellet avoue que l’argent n’est pas un moteur pour lui et affiche la valeur travail comme point cardinal dans sa carrière, avec une détermination qui transparaît jusque dans ses activités extra-professionnelles. Chaque matin, il court sur les quais de Seine et ne cache pas son plaisir d’avoir participé au dernier marathon de Berlin. « J’ai été classé dans les 1200 premiers participants du marathon de Boston [sur plus de 30 000 coureurs, ndlr] [] J’arrive toujours à temps pour prendre un selfie avec les champions kenyans et éthiopiens », ajoute-t-il avec ironie.

Un réseau optimisé depuis la promotion Senghor

S’il a envisagé de devenir journaliste, après des études à Science Po Strasbourg, il s’oriente finalement vers la diplomatie. Reçu au concours de Secrétaire des Affaires étrangères, il entre au Quai d’Orsay à l’âge de 22 ans et réalise sa première mission à Bruxelles, au sein de la représentation permanente de l’OTAN, au moment de la présidence française de l’Union européenne (UE). « J’étais 2e Secrétaire et je travaillais sur des dossiers très variés: de l’Ukraine à la Russie en passant par les armes légères de petits calibres ». Rattrapé par ses obligations civiques, il effectue son service militaire, tout en préparant le concours d’entrée à l’ENA.

Intégré à la fameuse « promotion Senghor », il y tisse de solides relations, rencontre sa femme (aujourd’hui à la tête du budget à Bercy) et avoue volontiers être resté ami avec plusieurs anciens élèves à l’instar de Nicolas Grivel, directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (l’ANRU) ou de Franck Paris, conseiller Afrique de l’Elysée. «J’y ai rencontré Emmanuel Macron et, sans être un ami très proche, je continue à bien m’entendre avec lui. J’ai d’ailleurs travaillé avec lui comme conseiller-référent, lorsqu’il était secrétaire général-adjoint de l’Elysée puis ministre», précise-t-il.

Classé 54e à sa sortie de l’ENA, Jérémie Pellet s’oriente vers la Direction de la concurrence, consommation et répression des fraudes (DGCCRF), à la surprise de son entourage qui envisageait un début de carrière dans d’autres Directions plus prestigieuses de Bercy. «Je cherchais un poste en lien avec l’économie réelle» ,explique-t-il rétrospectivement. Son objectif est vite atteint, car il s’occupe de dossiers relatifs à la concentration d’entreprises stratégiques (création de Natixis ou fusions de 9-Cegetel et de TPS-CanalSat). Trois ans plus tard, il se retrouve directeur d’investissement à CDC Entreprises (une filiale de la Caisse des dépôts devenue Bpifrance Investissement). Débauché par BNP-Paribas en 2009, il y reste jusqu’en 2014 où il coordonne notamment, la mise en place de Bâle 3 pour la partie banque d’investissement et de financement. Ayant travaillé sur la restructuration de banques grecques, Jérémie Pellet reste un Europhile convaincu, précisant que le choix du Brexit, décidé par les Britanniques représente «un mauvais pari» sur l’avenir.

Des allées du pouvoir à la Direction d’Expertise France

En 2014, il revient au cœur du secteur public, approché par Véronique Bédague (également issue de la promotion Senghor), alors directrice de cabinet de Manuel Valls, et devient conseiller-financement de l’Economie à Matignon jusqu’en 2016. « Elle cherchait des profils maîtrisant les sujets bancaires et ayant des sympathies de gauche », explique-t-il. Il s’occupe notamment de la « Loi Macron » qui fera l’objet du premier recours à l’article 49.3. S’il avoue être impressionné par la fulgurante ascension d’Emmanuel Macron, c’est Pierre Mendès-France qu’il cite comme référence, pour «sa cohérence, sa rigueur et sa capacité à ne pas transiger avec ses valeurs […] Il était progressiste, avec une vision ouverte et solidaire.»

En juin 2016, Rémy Rioux est nommé à la tête de l’Agence française de développement (AFD) et Jérémie Pellet est appelé à ses côtés, comme n°2 (avec Philippe Bauduin chargé des questions internes), grâce à sa connaissance de la Caisse des dépôts mais aussi du secteur privé. Sa carrière s’accélère. Il assure les relations extérieures au sein de la Direction de l’AFD, occupe la position de vice-président du Conseil d’administration de Proparco, la présidence du comité d’investissement de l’AFD, tout en siégeant aux conseils d’administration d’Expertise France et de Bpifrance Financement.

En 2019, il est nommé directeur général d’Expertise France qui sort tout juste d’une crise de gouvernance profonde, qui aura précipité les départs du directeur général et de la Présidente du Conseil d’administration. La refonte de l’agence de coopération technique, portée par Laurent Fabius s’est réalisée « un peu contre l’avis de tous les ministères, mais cette réforme était nécessaire pour optimiser les initiatives qui se superposaient […] Même si cette création s’est réalisée dans la douleur, en 2015 nous faisions environ 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et cette année nous atteindrons 270 millions d’euros », conclut-il pragmatique.

Jérémie Pellet devra mener à bien l’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD, attendue depuis mi-2019. «Une loi autorisant le changement de statut de l’Agence qui deviendra une filiale de l’AFD, devait être présentée en Conseil des ministres dans les jours à venir, mais elle pourrait bien être reportée, en raison des priorités du moment», précise-t-il. Convaincu du bien-fondé de cette initiative, Jérémie Pellet n’y voit que des avantages: « Expertise France pourra s’appuyer sur les équipes de l’AFD, car nous avons peu d’implantations permanentes sur le terrain. En outre, nous procéderons à des synergies en matière de ressources humaines. Enfin, ce rapprochement fait sens, car nous sommes très complémentaires: l’AFD étant un bailleur de fonds et nous, une agence de mise en œuvre ».

Quelle orientation africaine pour Expertise France ?

En rejoignant Expertise France en novembre 2019, Jérémie Pellet est à la tête d’une agence dotée de près 500 collaborateurs de terrain (auxquels s’ajoutent les 350 salariés du siège), dont 250 experts techniques, répartis dans une centaine de pays. La zone Afrique et Moyen-Orient représente près de 80% de l’activité, dont 40% dans le Sahel.

L’agence est particulièrement active dans le secteur de la santé, sur les questions relatives au paludisme, au VIH et à la tuberculose et «gère une partie que la contribution de la France confie au Fonds mondial Sida, pour appuyer les pays africains les plus pauvres», précise Jérémie Pellet. La sécurité dans le Sahel est également classée parmi les priorités d’Expertise France. « Nous intervenons sur les sujets de paix et de sécurité, mais aussi en matière de rétablissement des services de base dans les zones les plus fragiles. Au nord-Mali, nous avons déployé plusieurs conseillers afin que l’Etat puisse revenir sur ces territoires. Au centre du pays, nous menons des missions d’appui à la sécurité civile […] Nous sommes également présents au Burkina Faso où la situation est préoccupante. Nous intervenons notamment sur les questions d’emplois et de formations professionnelles ».

Alors que l’hexagone pâtit de critiques de plus en plus régulières en Afrique francophone, en particulier dans le Sahel, cela n’entame ni le flegme ni l’optimisme de Jérémie Pellet. « Il peut exister des réactions négatives en raison de notre Histoire, mais je n’ai jamais vu la moindre défiance vis-à-vis des projets que nous portons. Les compétences françaises sont très recherchées. Par ailleurs, nous mobilisons de nombreuses expertises africaines au sein de nos équipes. Enfin, il me semble que le discours du président Macron à destination d’une population africaine jeune, qui n’a pas connu la période des indépendances, participe à faire évoluer notre relation avec le continent », conclut-il confiant.

Bénéficiant d’une ascension rapide et doté d’une discrétion à toute épreuve, Jérémie Pellet ne s’attarde pas sur ses ambitions. Aussi, à la question de «l’après mandat» à la tête d’Expertise France (d’une durée de 3 ans), il répond laconique : « C’est loin ! Je n’ai vraiment aucune idée de ce que je ferai ensuite…».

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