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Coronavirus: le chef de la BAD craint une «crise sociale» en Afrique

La Banque africaine de développement a annoncé jeudi 9 avril la création d’un fonds de 10 milliards de dollars pour aider le continent à faire face au coronavirus. Et ce alors même que son président, Akinwumi Adesina, est confronté à des accusations internes de népotisme. Accusations, dettes africaines, confinement et appel aux entreprises minières : en exclusivité, Akinwumi Adesina a accepté de répondre aux questions de RFI.

RFI : Akinwumi Adesina, bonjour. Vous êtes visé par une enquête interne à la Banque africaine de développement révélées cette semaine par le journal Le Monde. Des salariés vous reprochent des « traitements de faveur » accordés à des compatriotes nigérians, des nominations à des postes importants qui n’auraient pas suivi les règles de recrutement. Que répondez-vous à ces accusations ?

Akinwumi Adesina : Je suis très fier d’être président de la Banque africaine de développement. Ces accusations ne sont que des accusations. Ce sont des mensonges, des choses que les gens disent. On m’attaque parce que nous sommes dans une période de réélection, de tous ces politiques-là… Ce sont des mensonges.

Vous récusez donc toute accusation de favoritisme ? Vous avez toujours respecté les règles internes de la Banque africaine de développement ?

Je respecte les règles à 100 %, et je récuse ces accusations à 100 %.

Sur la pandémie de coronavirus et sur ses conséquences économiques en Afrique, la Banque africaine de développement vient d’annoncer qu’elle débloquait 10 milliards de dollars, en réponse d’urgence au coronavirus. A quelles conditions les Etats africains pourront-ils accéder à ces fonds et pour mener quel type d’action ?

Il y aura 5 milliards de dollars américains pour les pays qui peuvent prétendre au guichet de la Banque. 3,1 milliards pour les pays qui ont accès à un autre guichet, le Fonds africain de financement, un guichet que nous utilisons pour financer les pays les plus pauvres et les pays fragiles. En plus de cela, nous mettrons à disposition de tout le secteur privé un montant d’1,4 milliard de dollars. Nous avons mis en place ce dispositif avec une prise de décision très rapide. Parce que nous vivons une situation exceptionnelle, la décision de la Banque sera prise en cinq jours.

Cinq jours seulement pour examiner les demandes, c’est l’engagement que vous prenez M. Adesina… Est-ce que vous avez déjà été sollicité par des Etats africains, pour financer des plans d’action ?

Oui, nous avons déjà beaucoup de pays qui ont déposé des requêtes. Avant même l’annonce de ce fonds. Des pays d’Afrique de l’ouest, du Nord, du Centre… de partout ! Tous les pays se trouvent dans les mêmes conditions.

Les pays africains ont pris, tour à tour, des mesures de quarantaine voire de confinement plus ou moins strictes, pour limiter la propagation du coronavirus. Mais ces pays ne disposent pas des mêmes filets de protection que les pays du Nord : pas de chômage partiel exceptionnel, ni d’indemnités chômage prolongées, comme en France par exemple. Comment convaincre les gens de rester chez eux s’ils doivent sortir travailler pour nourrir leur famille ?

Prenez le cas des pays développés : on bloque tout et les gens ne peuvent pas sortir. C’est la même chose pour les pays africains. On est obligés de le faire pour réduire l’effet contagieux du coronavirus. Mais il y a les effets que cela produit : en Afrique, les gens qui travaillent sont pour la plupart dans des petites ou moyennes entreprises, dans le secteur informel… Ils travaillent chaque jour une heure par-ci, une heure par-là… donc c’est quelque chose qui est très difficile pour eux. Ça peut devenir une crise sociale ! Et malheureusement, l’Afrique n’a pas les ressources pour faire la compensation, pour compenser les salaires des gens, comme les pays développés l’ont fait. C’est la raison pour laquelle il est très important qu’on fasse la protection sociale de toutes les couches qui sont les plus frappées.

Deuxièmement, en Afrique aujourd’hui, il y a une autre crise qui peut survenir à cause du coronavirus. C’est la crise alimentaire. Dans le secteur agricole, il est très difficile aujourd’hui d’avoir accès aux semences, aux engrais, aux intrants. Si les gens ne peuvent pas produire, on aura une autre crise, qui sera une crise alimentaire. Raison pour laquelle, à la Banque africaine de développement, nous venons d’engager la création d’une plateforme des pays africains pour pouvoir les aider à importer en bloc [de manière groupée, ndlr].

Pourrait-on imaginer des dispositifs de soutien économique exceptionnels, à destination des foyers ou des entreprises, dans les pays africains ? Sachant que ces dispositifs sont déjà en train d’endetter de manière abyssale les pays les plus riches de la planète…

Nous allons mettre à la disposition du secteur privé 1,4 milliard de dollars, pour financer les petites et moyennes entreprises. Nous avons aussi reporté le paiement de leur dette à l’année prochaine. Donc nous faisons notre maximum pour soulager le secteur public comme le secteur privé.

L’idée, c’est de sauver les petites et moyennes entreprises du continent, ou est-ce que des grands groupes internationaux peuvent aussi y prétendre ?

Non, pour nous, il s’agit des petites et moyennes entreprises africaines. Aujourd’hui, jusqu’à 90 % du secteur privé en Afrique est composé de ces PME. Donc ce sont elles que nous devons protéger. Les autres ont les ressources.

Avec la crise du coronavirus, une question anciennea rejailli : celle des dettes des pays africains. Des ONG comme Oxfam mais aussi des économistes, comme ceux de la Cnuced, la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, demandent leur annulation pure et simple. Vous, M. Adesina, à la BAD, vous proposez simplement un moratoire, une suspension temporaire, un report. Pourquoi ?

Aujourd’hui, avec le coronavirus, la dette de l’Afrique va augmenter de 1 800 milliards de dollars en 2019, soit environ 61 % du PIB. Elle va augmenter à 2 100 milliards de dollars américains, soit 65 % du PIB. Dans le scénario lié au coronavirus le plus extrême. Donc il est très clair qu’il y aura un surendettement des pays africains.

Pour le soulager, il y a deux approches. Il y a les pays les plus pauvres : pour eux, il faut annuler la dette. Oui, je suis d’accord ! Mais ce qui est le plus important pour les pays africains, et j’en ai déjà parlé avec plusieurs chefs d’État, c’est qu’ils aient un espace fiscal [marge de manœuvre budgétaire, NDLR]. Si on fait un moratoire de toutes les dettes, cela ne concernera pas que les dettes bilatérales, mais aussi les dettes des banques multilatérales de développement ainsi que les dettes commerciales. Et si nous travaillons en étroite collaboration avec les agences de notation, tous ensemble, on pourra trouver une solution qui peut marcher pour l’Afrique. C’est pourquoi je dis qu’il y a les annulations de dette, pour les pays qui sont vraiment très pauvres, et l’approche du moratoire avec une coordination globale qui est nécessaire.

Beaucoup de pays africains sont très dépendants de leurs matières premières : du pétrole, dont les cours ont déjà plongé, ou de nombreux minerais, dont la demande est également en baisse. Pour ces Etats, dont les revenus chutent et avec eux les capacités d’importer des denrées alimentaires, quelle réponse est possible ?

Aujourd’hui, le Brent est à environ 33 dollars le baril. Mais des pays comme le Congo, l’Angola, le Nigeria ou le Tchad ont fait leur financement [élaboré leur budget, NDLR] avec un prix de référence de 50 à 60 dollars par baril ! Vous pouvez imaginer l’impact massif dans leur économie. Ensuite, même pour les pays qui exportent d’autres matières premières, agricoles ou minérales, la demande de toutes ces ressources a déjà baissé. Donc il y a des impacts massifs pour toutes ces économies.

Comment les aider ? Comme je l’ai dit, il faut combiner l’annulation de la dette pour les pays les plus pauvres, le moratoire sur la dette, il y a aussi tous les financements de la Banque africaine de développement, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l’Agence française de développement… Nous travaillons ensemble.

Est-ce que les groupes miniers ou pétroliers qui exploitent les matières premières de ces pays pourraient ou devraient être mis à contribution ?

Oui, ils devraient contribuer. Quand les temps sont bons, ils en bénéficient, donc quand les temps sont moins bons, il faut qu’ils contribuent aussi. Pour les moments difficiles, ils ont de l’épargne. Il faut qu’ils contribuent pour aider les pays dans lesquels ils sont localisés. C’est une marque de responsabilité qu’ils doivent prendre.

Certains économistes estiment que cette crise sanitaire révèle les failles du système économique mondial, et des échanges inégalitaires entre pays du Nord et pays du Sud. Est-ce que vous partagez cette analyse, est-ce que vous pensez qu’une fois le pire passé, il y aura des leçons systémiques à tirer ?

Je n’aime pas opposer une région du monde à une autre. Nous sommes tous dans le même problème [le coronavirus, NDLR]. C’est clair que les inégalités entre les pays sont très grandes. Quand on regarde les annonces aux États-Unis, avec 2 000 milliards de dollars pour stimuler l’économie, les pays africains n’ont pas ces possibilités. Donc les inégalités contribuent à la difficulté des pays en voie de développement pour réagir vite.

Deuxièmement, l’approche de l’industrialisation dans le monde doit changer. Aujourd’hui, tout le monde dépend de la Chine. Donc je pense que l’Afrique – au moins – doit tirer une leçon très importante : il faut accélérer l’industrialisation de l’Afrique. Il faut aussi accélérer le développement de la sphère pharmaceutique en Afrique. Aujourd’hui, il y a 375 entreprises pharmaceutiques en Afrique, pour 1,2 milliard  de personnes. En Chine, il y en a plus de 6 000 pour 1,4 milliard de personnes, et en Inde, il y en a près de 10 500 pour 1,4 milliard de personnes. Donc il faut changer cela. C’est pourquoi la Banque africaine de développement a commencé une réflexion interne, pour voir comment aider les pays africains à produire tout ce dont ils ont besoin. C’est une question de sécurité. Cette fois, les choses vont changer, car c’est la défense de la santé des populations qui compte.

RFI

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